INTERVIEW
EXCLUSIVE
SYLVIE FEIT ET PHILIPPE OGOUZ, LES VOIX DE JOHANN LANDORE ET DU CAPITAINE FLAM |
A
l'occasion du 25ème anniversaire de la diffusion de "Capitaine
Flam" en France, SYLVIE FEIT et PHILIPPE OGOUZ, les comédiens
ayant prêté leur voix à Johann Landore et au Capitaine
Flam ont gentiment répondu à cette interview.
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Bonjour
et merci à tous les deux d'avoir accepté cette interview.
Tout d'abord, pouvez-nous nous dire comment vous en êtes venus
à être comédiens de doublage ?
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Je
pratique le doublage depuis l'année 1964, j'ai commencé
suite à un événement inattendu. J'ai débuté
dans la comédie en 1960, je fréquentais l'Ecole du Spectacle
à Paris où je voulais préparer l'Opéra de
Paris. Mais le hasard a fait que j'ai tourné pour la télévision
et le cinéma très jeune. Le hasard aussi a fait que le
mari d'une cousine de ma mère était bruiteur dans la plus
connue des sociétés de doublage dont le patron était
Monsieur Heinz. Il était anglais, une magnifique personne, il
est décédé depuis quelques années, je ne
le remercierai jamais assez de ce qu'il a fait pour moi. Il m'a invitée
à assister à une séance, je dois dire que je ne
savais pas que le doublage existait : il faut se souvenir qu'à
l'époque il n'y avait qu'une seule chaîne et peu de doublages.
Il m'a fait faire un essai et je devais probablement avoir bien compris
comment ça marchait car la suite a été prometteuse.
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Comédien
de doublage, ce n'est pas un métier, un acteur a plusieurs cordes
à son arc : la télé, le théatre, le cinéma,
la radio et... le doublage !!
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Quelles
circonstances vous ont conduit à doubler ces deux personnages
? Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?
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Si
mes souvenirs sont justes, c'est Philippe Ogouz, avec qui je travaillais
régulièrement dans le doublage, qui m'a engagée
pour Johann. Il dirigeait la série et il a dû penser que
je serais une voix correspondant au tempérament de cette jeune
femme. Vous savez, je crois que la voix n'est pas tout. Il y a aussi
la personnalité, les émotions, la vie du comédien
qui prête sa voix. Peut-être Philippe a-t-il imaginé
que la personnalité de Johann et la mienne étaient sinon
semblables, du moins complémentaires. En tout cas je me souviens
que c'était très amusant, et du travail bien fait.
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Quand
j'ai doublé le Capitaine Flam dans les années 80, je doublais
déjà beaucoup de dessins animés, de films ou de
téléfilms. Cette série est restée pour moi
un moment agréable. J'ai aussi enregistré un 30 cm pour
PATHÉ... Le reste est assez loin dans ma mémoire... Je
ne savais pas que cela deviendrait une série culte !!!
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Est-ce indiscret de vous demander l'âge que vous aviez à
l'époque ?
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Je
devais avoir une trentaine d'années et j'avais deux enfants.
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En
1980, j'avais ving-cinq ans de moins, c'est-à-dire quarante-cinq
ans.
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Saviez-vous que derrière le personnage
de Capitaine Flam se cachait Captain Future, un héros de "pulp
fictions" des années 40-50 ?
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Non
, je ne connaissais pas Captain Future ni Capitaine Flam.
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Je
ne savais rien...
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Y-avait-il
des briefings de pré-doublage ? Vous parlait-on de la personnalité
du personnage à interpréter ? Y-avez vous apporté
votre "grain de sel" ?
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Il
n'y avait pas de travail préparatoire. Quand on vient travailler
en studio, on ne sait pas toujours ce qu'on va jouer. Le directeur de
plateau est le patron et on se conforme à ce qu'il demande. Tant
que le directeur et l'ingénieur du son ne disent pas OK, on recommence.
Bien sûr, nous avons notre mot à dire et on peut proposer
des choses, ce n'est pas du dirigisme à tout crin, mais en général
on fait confiance à la personne qui nous a choisi et cette personne
nous fait confiance. Et Philippe est un très bon directeur et
un très bon comédien, donc c'était presque facile
pour Capitaine Flam...
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Il
n'y avait pas de briefing. Je crois que c'est moi qui ai dirigé
cette série... J'ai dû y mettre ainsi "ma patte".
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Quels
sont vos meilleurs souvenirs de doublage ?
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Il
est difficile de choisir des bons souvenirs. Sans être présomptueuse,
j'ai doublé des centaines de films, téléfilms,
séries... La chance et le plaisir que j'ai eu par exemple d'être
la voix dès le début de Ornella Mutti, pendant vingt ans
(maintenant elle se post-synchronise elle-même), Mia Farrow, Ali
Mac Graw, Karen Allen, et puis Sally Field (entre autres dans JAMAIS
SANS MA FILLE). J'ai joué Dr Elisabeth dans L'HOMME DE L'ATLANTIDE,
plusieurs James Bond Girls (OCTOPUSSY, L'HOMME AUX PISTOLETS D'OR, etc.)
et tant d'autres
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APOCALYPSE
NOW deux fois dont la première avec Copolla sur le plateau...
RENCONTRE DU TROISIÈME TYPE avec Truffaut qui se doublait lui-même
et qui a été délicieux et humble comme il savait
l'être... ON ACHÈVE BIEN LES CHEVAUX avec Jane fonda sur
le plateau, je doublais Michael Sarazin, on a couru une semaine sur
le plateau... PAPILLON, le rôle de Dustin... Le doublage de SENFIELD
pour la télé que j'ai dirigé et dans lequel je
doublais le personnage de Georges, délicieux et magnifique...
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Est-il
différent de doubler un personnage de dessin animé et
un personnage "réel" ?
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Le
travail pour moi est le même : la technique est la même,
ce sont les mêmes studios et les mêmes écrans. Quant
au jeu, ce qui est essentiel pour moi, c'est la sincérité,
alors le sentiment est le même pour Johann ou Ornella Mutti.
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Non.
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Tous
les fans s'accordent à dire que le succès de Capitaine
Flam doit beaucoup à la qualité d'interprétation
des doubleurs. N'est-ce pas justement ce manque de reconnaissance pour
le travail de doublage qui avait conduit les comédiens de doublage
à initier leur grand mouvement de grève ?
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Alors
vous me parlez de reconnaissance. Mais quelle reconnaissance ? Faire
du doublage c'est offrir une voix à des acteurs que l'on voit
sur un écran. On est dans le noir, pas dans la lumière,
on n'est pas reconnu dans la rue ni dans le métro. Il faut beaucoup
d'humilité pour être heureux quand on double. La reconnaissance
commence par le respect de soi-même dans sa profession. Il ne
faut pas confondre reconnaissance et vedettariat. Je joue au théâtre
(j'ai fait partie d'une compagnie pendant dix ans), je tourne, je fais
et j'enseigne le doublage (j'ai créé un stage de doublage
pour les comédiens professionnels), je milite pour la défense
des droits des artistes (avec d'ailleurs Philippe Ogouz, président
de L'ADAMI), j'ai des enfants, j'ai des amis formidables et je gagne
ma vie. Je vis le luxe absolu : je vis d'un métier que j'ai choisi
et que j'aime. Bien sûr, ce n'est pas rose tous les jours (c'est
même quelque fois très très difficile) mais les
professionnels de ce métier me connaissent et le public me respecte
et me reconnaît quand je lui offre mon travail.
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On
ne dit pas doubleurs !! Les doubleurs sont les sociétés
de prestations de service qui organisent les doublages et qui nous rétribuent.
Le grand mouvement de grève des années 90 dont j'ai été
un des meneurs avait pour but de faire reconnaître nos droits
de rediffusion sur les doublages. À la suite de cette grève,
j'ai été puni par les sociétés qui m'employaient,
entre autres la société SOFI pour qui j'ai fait énormément
de doublage dont Capitaine Flam. Ironie du sort : je suis actuellement
Président de l'ADAMI, la plus grosse société de
droits d'artistes, élu par mes pairs !!!
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Vous
êtes devenus un couple mythique pour bon nombre de fans, aujourd'hui
trentenaires. Arrive-t-il que ceux-ci reconnaissent chez vous ces voix
qui ont marqué leur enfance ?
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Le
couple emblématique que nous formons avec Philippe pour nos fans
me transporte de joie. C'est vraiment agréable de l'entendre
et je pense que Philippe sera aussi heureux que moi, parce que, voyez-vous,
c'est ça la reconnaissance. La reconnaissance d'un public qui
nous remercie pour notre talent et notre travail bien fait. On bosse
ni mieux, ni moins bien qu'un grand film de cinéma. Le plaisir
du bon boulot.
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Les
gens qui savent que c'est moi qui ait doublé le Capitaine Flam
sont toujours enthousiastes !!!
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Le
Capitaine Flam et Johann entretenaient une relation "très
particulière" qui alimente encore les conversations des
fans nostalgiques. Et vous deux, depuis toutes ces années, avez-vous
gardé des relations d'amitié et/ou professionnelles ?
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Au
risque de vous décevoir, non, je ne me suis pas fiancée
avec Philippe, mais nous nous connaissons depuis près de quarante
ans et nous avons toujours été des amis. Nous entretenons
une belle complicité qui nous sert pour notre engagement à
l'ADAMI et je travaille avec lui quand l'occasion nous en est donnée.
En tout cas, doubler ces deux amoureux nous a bien amusés, car,
tout de même, s'amuser à jouer des amoureux et être
payés en plus, quoi de plus amusant !
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Oui,
bien sûr, les deux !!!
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Le
monde du doublage a-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts
? Quelle vision en avez-vous aujourd'hui ?
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Sur
la question du doublage aujourd'hui, il m'est difficile d'en parler.
Je ne veux pas livrer ce que je pense comme ça, je pourrais le
faire dans le cadre de débat, je ne voudrais pas que mes propos
soient soit mal interprétés. Non pas que j'ai peur, je
ne crains pas les critiques et je n'ai pas la langue de bois mais le
lieu n'est pas... Le monde économique régit tellement
la façon de travailler. L'argent n'est pas mon moteur, il ne
l'a jamais été (non pas que je crache dessus, j'en ai
besoin pour vivre comme tout le monde) mais moi, ce qui me fait avancer,
c'est le plaisir. J'ai toujours essayer d'allier travail, enthousiasme
et les chèques... Il y a beaucoup de gens sortis on ne sait d'où,
incompétents, pas chers, bêtes, incultes, des gens à
qui on fait croire que c'est facile : je n'ai aucune envie de travailler
avec eux. Le chemin est long pour arriver à un peu d'excellence
et l'excellence ne se négocie pas avec des marchands de tapis.
Il m'arrive de travailler dans le doublage avec des gens de talent,
que ce soit des employeurs, des comédiens et des directeurs de
plateau pour y faire ce que j'ai envie avec qui j'ai envie.
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La
qualité du doublage n'est plus d'actualité !!! Le rendement,
uniquement le rendement !!! Le doublage est souvent (et curieusement)
l'apanage de gens sans talent qui ont profité de cette grève
pour nous remplacer !!!
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Pour
un comédien, faire du doublage, n'est-ce pas se couper du contact
avec le public ?
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Doubler
n'est pas un métier, être comédien ou acteur est
un métier. Doubler est l'une des nombreuses cordes que l'on peut
avoir à son arc au même titre que la danse (j'ai été
danseuse classique pendant dix ans), le chant, la publicité,
la radio... Il faut être comédien pour 'doubler' comme
les gens disent généralement. Je ne suis pas une doubleuse,
je suis une comédienne qui fait aussi du doublage. On ne s'improvise
pas comédien pour jouer au théâtre ou au cinéma,
il y a des règles, une technique, on prend des cours... Moi,
j'ai fait tout cela, j'ai suivi des cours de théâtre même
si j'avais déjà joué et tourné des films
étant enfant, je suis entrée au Conservatoire National
de Paris, et j'ai appris et encore appris.
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Ca
n'est pas la même corde de l'arc dont je parlais au début.
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Pouvez-vous
nous parler de vos occupations à présent. Quelle est votre
actualité ?
Je vous remercie très chaleureusement d'avoir bien voulu répondre à ces quelques questions. |
Ma
dernière actualité dans le doublage est, il y a peu de
temps, la direction et un rôle dans une série pour enfants
que j'aime beaucoup sur France 3 : TOM-TOM ET NANA. J'ai également
été choisie par Jim Jarmusch pour être la voix de
Frances Conroy dans BROKEN FLOWERS. J'ai joué trois pièces
de théâtre en un an. La dernière, cet été,
était LES MISERABLES, le magnifique rôle de 'La Thénardier'.
Je suis aussi responsable de salle dans un théâtre, à
Paris, le soir quand je ne joue pas. Je m'occupe du public et des artistes.
Je prépare trois nouveaux stages de doublage et un atelier théâtre.
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Je
m'occupe d'une grande série de dessin animé : LES AVENTURE
D'EDGAR DE LA CAMBRIOLE où je joue Edgar. Je dirige cette série
et les longs métrages tirés de cette série avec
une équipe formidable que j'ai mis en place : Catherine Laffont,
Agnès Gribe, Jean Barney, Patrick Messe, Philippe Peythieu. C'est
très sympa et la société qui nous emploie nous
laisse carte blanche. Par ailleurs, je monte un spectacle qui s'intitule
RUTABAGA SWING avec huit acteurs au Théatre 13 en septembre 2006.
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